Musique et société

 

Musique et société à l’aube du XXI° siècle

 

« Je disparais dès que l’on me nomme, qui suis-je ? » …..le silence bien sûr, silence dont la nature sait si bien se jouer alternant ces milliers de sons qu’elle seule peut nous prodiguer.  Et l’homme en créant la musique a voulu lui aussi dompter ce silence, en voulant imiter cette nature et en donnant à notre oreille ce langage si subjectif, si sensoriel, si profond. Il a su y trouver le moyen le plus intime de s’extérioriser.

Richard Wagner écrivait « La musique n’exprime pas la passion, ni l’amour ni la nostalgie d’un individu dans une certaine situation, elle est au contraire la passion, l’amour, la nostalgie même… ».

Il est vrai que dès le cinquième mois de vie intra-utérine, l’oreille du fœtus entend ses premiers sons, ses premiers bruits filtrés par le liquide amniotique.

(Respiration, rythme cardiaque,  gargouillis de la digestion de la mère ainsi que tous les sons extérieurs qui forment son environnement sonore).

On sait combien la musique est d’ailleurs une source de plaisir pour le fœtus, les médecins ayant pu le vérifier sur les réactions de prématurés auprès desquels on diffusait une source sonore.

                                                                                                                               

Et que dire aujourd’hui de la place de la musique dans notre société de pays développé ! ? Et qui plus est à l’aube de ce XXI° siècle ! ?

Nous rendons-nous compte à quel point et à quelle vitesse les rapports entre l’homme et la musique ont évolué en l’espace de 50 ans, alors qu’il  a fallu souvent dans le passé plusieurs siècles pour qu’un instrument de musique se transforme, où qu’une manière de composer se modifie. 

Il y a encore seulement un peu plus d’un siècle, écouter de la musique ne se résumait qu’à deux situations :

En produire soit même en chantant ou en jouant d’un instrument, ou  se retrouver dans un lieu ou l’on devenait auditeur d’autres musiciens en train de jouer : la rue, le village et ses fêtes, le concert, l’église.

La consommation musicale est aujourd’hui complètement différente, car nous pouvons en effet parler d’une véritable consommation. N’est-ce pas d’ailleurs le nom que nous donnons à cette société dans laquelle nous vivons ! ?  Mais si l’aspect quantitatif demeure, ne faut-il pas évaluer l’aspect qualitatif de cette consommation, voire de cette surconsommation musicale ! ?

 

Depuis 1950, les sources de diffusion de la musique se sont banalisées.

L’équipement électroménager d’un ménage français quelque soit la couche sociale à laquelle il appartient comprend au coté du frigo et de la cuisinière, la télévision, le poste de radio, la chaîne hi-fi, l’ordinateur.       L’option lecteur CD/MP3 n’est-elle pas aujourd’hui devenue banale lors de l’achat d’un véhicule ! ? D’autant plus que ce « lecteur audio »  permettant de lire des CD, laissera au conducteur la totale liberté de faire son propre choix musical.  Dans nos classes de troisièmes, et pour y avoir fait un sondage, la quasi-totalité des élèves possèdent un lecteur CD dans leur propre chambre, mais surtout  élèves sur 10 possèdent aussi un baladeur lecteur MP3.

 

Présente dans notre société et dans notre vie de tous les jours, la musique l’est indéniablement, et on pourrait même parler d’une omniprésence tant les exemples sont nombreux pour argumenter une telle affirmation.

  • Nombre de concerts organisés sur une ville comme Lyon, quel que soit le genre de musique, le public concerné, le lieu. (Bourse du travail, Gerland, Eurexpo, Opéra, Auditorium, Maison de la danse…)
  • Nombre d’écoles de musique qui au coté des activités sportives restent les moteurs de la vie associative d’un village.
  • Nombre de radios musicales qui se sont développées depuis la libération des ondes hertziennes et l’apparition des radios libres en 1981.
  • Et que dire des 95% de spots publicitaires présentés avec un support musical, certain produit s’identifiant à la seule audition de celui-ci.
  • Que dire de ces magnifiques cérémonies d’ouverture de jeux olympiques ou musiques et danses émerveillent le monde entier  et qui sont aujourd’hui disponibles à la vente en DVD.
  • Qu’aurait été, et que serait aujourd’hui le cinéma sans ces magnifiques bandes sonores d’Ennio Morricone, de Vangélis, de John Williams, de James Horner et plus récemment d’Hans Zimmer ou de Danny Elfman.
  • Vous imaginez un peu Harry Potter ou la Guerre des étoiles sans musique ! ! ? ?
  • Que seraient toutes les grandes festivités de l’année, du réveillon du jour de l’an, à notre fête nationale du 14 juillet, d’une soirée d’anniversaire au mariage d’un ami, d’une fête de la musique un 21 juin à cette fabuleuse nuit ou une certaine équipe de football battait le Brésil 3 à 0.  

 

La musique est véritablement une source de plaisir et de bien-être. Si seulement nous passions plus de temps à l’écouter, à l’apprécier !

Elle est souvent un moyen extraordinaire d’évasion de l’esprit face aux soucis de la vie, au rythme imposé de notre société, et souvent stressant de nos années scolaires. (Je parle ici surtout des élèves, car on le sait bien les professeurs étant toujours en vacances, ils ne sont jamais stressés !)

Je ne manquerai pas de citer Guillaume de Machaut (compositeur du XIII° siècle) qui fut au programme de l’option musique au baccalauréat il y a quelques années :

« La musique est une science qui veut qu’on rit, et chante et danse,

Partout où elle est, joie y porte, les déconfortez réconforte,

Et n’est seulement de l’ouïr, fait-elle les gens resjouir ».

 

Je voudrais maintenant présenter cette consommation sous trois aspects. 

Au fil du temps, la musique s’est en effet affirmée comme un véritable fait social, comme un véritable fait économique et comme un véritable fait politique.

 

1°) Première approche : Musique, fait social 

 

Déjà au temps de l’antiquité, tous les peuples méditerranéens connaissaient et pratiquaient la musique. Mais en Grèce plus qu’ailleurs la musique était considérée comme un véritable art, essentiel à la vie quotidienne. La fête de Dionysos, dieu du vin et de l’ivresse, se caractérisait par des joyeuses célébrations dansées et chantées qui rassemblaient beaucoup de monde. Les grecs consacrèrent un lieu à cette fête et inventèrent pour cela le théâtre.

Nous savons que le sport et la musique ont souvent été à l’origine des plus grands rassemblements d’êtres humains. Les exemples ne manquent pas lorsque l’on parle de ces megas-concerts réunissant des milliers de personnes autour de leur seule passion de la musique, et dont cette fin de siècle fort d’une technologie de plus en plus performante a eu le secret. (Stade de 50 000 places, effets de lumière totalement informatisés, multiples écrans géants, feux d’artifices, et je ne parle pas de la puissance de sonorisation.)

De Luciano Pavarotti au groupe des Pink Floyd, de Léonard Berstein dirigeant l’orchestre symphonique de New York au groupe U2, ou encore d’Edith Piaf, ou de Jacques Brel faisant vibrer d’émotion l’Olympia de Paris  à Elton John au stade de France ou Roberto Alagna aux chorégies d’Orange. Et que dire encore du succès du festival inter-celtique de Lorient qui a intéressé encore cette année plusieurs millions de spectateurs.

 

Fait social, la musique tisse des relations entre les membres d’une collectivité. On sait combien ici encore les adolescents sont sensibles à leurs goûts musicaux, et que ces mêmes goûts seront  souvent à l’origine d’une appartenance à un groupe d’amis plutôt qu’un autre.

Et on peut dès lors se poser de nombreuses interrogations :

-         Qui écoute la musique ?

-         Pourquoi tel genre musical est-il préféré par telle catégorie sociale ?

-         Comment tel goût évolue-t-il en fonction des âges ?

-         Un style de musique comme le rap pouvant parfois véhiculer violence et haine n’est-il pas source de réflexion pour le problème si délicat des banlieues ?

C’est à ce type de questions que tente de répondre la sociologie. Elle se donne pour objet d’étudier entre autre les groupes humains et leurs comportements face à l’univers artistique et musical qui les entoure, et les modes qui l’accompagnent. 

La diffusion récente mais de plus en plus fréquente de world music, (je parlais tout à l’heure du festival de musique celtique) ou musique du monde (musique cubaine, africaine, de pays de l’est ….), par l’édition et l’enregistrement de CD, par leur diffusion sur Internet au format wave et MP3, sur les ondes ou en concerts nous ouvre depuis une dizaine d’année à d’autres cultures.

N’est-ce pas là le bon moyen d’appliquer ce conseil de Confucius : « Si tu veux juger des mœurs d’un peuple, écoute sa musique ! » N’est-ce pas là le bon moyen de mieux se découvrir, de mieux s’apprécier ! ?

Enfin la pratique collective de la musique, dans un orchestre, dans une chorale scolaire ou autre, ou dans un simple cours d’éducation musicale restera une expérience incontournable de socialisation d’un groupe, véritable cours pratique d’instruction civique où chacun prend conscience de son rôle et de son engagement dans une réalisation communautaire. Je ne fais d’ailleurs là que citer en d’autres termes le contenu des derniers programmes officiels de l’éducation musicale en collège.

 

2°) Deuxième approche : Musique, fait économique

 

Toute une activité industrielle et commerciale s’est développée à partir de la musique. Si le métier de copiste a peu à peu disparu après l’invention de l’imprimerie musicale au XVI° siècle, de même que celui de maître de chapelle ou de compositeur de cour, d’autres professions se sont créées autour de la production et la vente de matériel d’écoute, de disques, de cassettes, autour de

L’organisation de spectacles et de concerts, autour de la promotion des artistes et de la mise en place de réseaux de diffusion.

 

Et voici le moment de citer quelques chiffres significatifs et qui illustreront  oh combien ! ce propos.

-         En 1986, sortie au cinéma du film « Amadeus » de Milos Forman : 8 Millions de CD de Mozart vendus dans   le monde la même année.

-         En 1993, l’industrie du disque a consacré pour sa publicité 85 millions dans les journaux, 204 millions à la radio, 724 millions à la télévision.

-         Fin 1994, parmi les interprètes phares et les meilleures ventes d’albums, un revenant Jean Ferrat avec son album « Ferrat 95 » et un inattendu Jean Paul II qui au début de décembre enregistre en latin une messe de Noël. (Et si Jean Ferrat toucha ses droits d’auteurs, Jean Paul II lui ne touchera rien.)

-         En 1995 l’album de Céline Dion « D’eux » écrit et composé par Jean-Jacques Goldman est vendu à 3M. d’exemplaires, soit un triple disque de diamant, le disque d’or correspondant à 100 000 albums vendus, et celui de platine à 300 000 albums vendus.

-         En 2006, les enfoirés vendent plus de 500 000 albums.

-         En 2008, le nouvel album de Francis Cabrel se vent à près de 600 000 exemplaires en France et sera chargés 13400 fois sur Internet.

 

La publicité sur les lieux de vente, sous forme de posters ou de présentoirs, est également très importante: elle favorise l’achat d’impulsion quand le consommateur n’a pas la moindre idée en entrant dans le magasin, du disque qu’il va acheter.

-         En 1994, France Gall enchaîne une série de 25 concerts à la salle Pleyel, Liane Folly sillonne près d’une centaine de villes, le record étant détenu par Eddy Mitchell avec 150 villes à son actif.

-         L’orchestre national de Lyon assure en moyenne une centaine de concerts par an.

-         Le coût d’une tournée d’un artiste peut aller de 14 000 € à 80 000 € par jour.

 

           Le travail de la SACEM société des auteurs/compositeurs/ et éditeurs de musique prend dans ce cadre une importance évidente. Créée dans la deuxième moitié du XIX siècle, cette société installée à Paris emploie 700 personnes. Son rôle : redistribuer les bénéfices de l’exploitation musicale des œuvres aux auteurs et compositeurs, bénéfices partagées avec les maisons d’éditions qui sont d’une certaine manière leurs représentants. Les délégués représentants de la sacem sillonnent la France afin de repérer la moindre note fredonnée ici ou là. Que ce soit les boites de nuit, le juke-box, les concerts, ou même un simple poste de radio chez un commerçant, tout est réglementé.  (Pour information sachez que le parking de Lyon Bellecour diffusant de la musique par haut-parleur se doit de régler une redevance annuelle à la sacem, ou qu’un simple café diffusant de la musique pour sa clientèle paye aussi une redevance annuelle). Mais que sera le devenir de la sacem face à ce nouvel outil de mondialisation qu’est Internet ! ?

Nous savons  combien le développement d’Internet et le serveur Napster ou d’autres mettant à disposition sous format de fichier MP3 n’importe quel album de musique est source d’inquiétude pour l’industrie du disque (Sony, Wea, EMI, Polygram…)

N’importe quel particulier peut aujourd’hui télécharger n’importe quelle musique et la mettre à disposition d’un autre particulier, sans possibilité de contrôle aucun. Impossible évidemment de mettre un contrôleur à coté de chaque PC. Il en va de même pour les pochettes de disque.

Plusieurs élèves du collège me disaient qu’il était aujourd’hui inutile d’acheter des CD, ils les trouvaient gratuitement via Internet.

Les adolescents de la planète l’ont bien compris et je me prends parfois pour un vieux ringard à refuser d’utiliser un tel procédé. Je l’explique tant bien que mal aux élèves.  Mais il s’agit peut-être là tout simplement d’une réaction solidaire de musicien.  Qu’adviendra-t-il de l’industrie du disque, et des droits des auteurs ? Question aujourd’hui sensible et grande source d’inquiétude pour de nombreux professionnels. Il y a quelques années, le rachat du serveur Napster par une grande maison de disques n’a aucunement résolu le problème. 

 

3°) Troisième approche : Musique, fait politique.

 

Une sagesse chinoise disait : « si le Roi aime la musique avec prédilection, le royaume approche beaucoup d’un meilleur gouvernement ».

Les grands musiciens ont d’ailleurs souvent vécu et composé dans les cours royales et princières :

-         Jean-Baptiste Lully et Michel-Richard Delalande au service de Louis XIV.

-         Georges-Frédéric Haendel pour le Roi d’Angleterre Georges V.

-         Joseph Haydn au service du Prince Hesterazy.

-          Jean-Sébastien Bach du Duc de Weimar.

La musique a souvent été le  moyen pour l’homme d’affirmer ses sensibilités face à la société et aux événements du monde. Elle est en effet un langage par lequel  peuvent s’exprimer l’identité d’une collectivité humaine ou les convictions profondes des individus.

Plus encore dans la chanson ou le texte est présent, le message devenait  facile  à émettre.

Dès lors, on a pu se demander  si l’état devait intervenir pour protéger la chanson française menacée par l’internationalisation de la production, ou encore pour maintenir une tradition musicale mal adaptée aux lois du marché. A cette question, la réponse fut claire lorsque les ministres de la culture, de droite comme de gauche prirent fermement position pour un quota précis de chansons françaises diffusées en une journée sur les radios. Et que dire du débat qui aujourd’hui divise les uns comme les autres lorsque l’on aborde le problème du téléchargement sur Internet. Et comment ne pas évoquer de la construction de l’Opéra Bastille, et de la restructuration de l’opéra de Lyon, à la fois fait politique et économique.

 

Je citerai pourtant avant tout un exemple de message qui lui fut purement instrumental, auditif et visuel :

La célèbre symphonie des adieux de Joseph Haydn considérée comme la première grève de musiciens en un exemple anecdotique amusant. 

 

Je voudrais maintenant illustrer cette approche politique par quelques exemples et variés puisés dans l’histoire. On y voit bien comment la musique peut servir une bataille d’idées, voir même un combat militaire.

-         Clément Jannequin vantant les mérites et la gloire de François 1° dans son œuvre vocale «La bataille de Marignan ».

-         Joseph Haydn dédiant une messe à l’amiral Nelson après sa victoire de Trafalgar sur les français.

-         Beethoven voulant dédier sa troisième symphonie à Napoléon, et déchirant sa dédicace lorsqu’il apprend que ce dernier se fait sacrer Empereur en déclarant «  Alors finalement ce n’est qu’un homme comme les autres ! ».

-         Le peuple noir esclave chantant sa souffrance et son désespoir dans le blues et les negro-spirituals.   

-         L’orchestre symphonique de Berlin interprétant l’hymne à la joie de la  9° symphonie de Beethoven sous la direction de Karajan, lors d’un concert grandiose organisé à l’occasion de la chute du non moins célèbre mur de Berlin.

-         Le compositeur polonais Penderecki composant son célèbre « Thrénos à la mémoire des victimes d’Hiroshima »

-         Le chanteur Sting s’engageant au coté des tribus indiennes pour la défense de la forêt Amazonienne.

-         Le chanteur Johnny Clegg s’engageant au coté du peuple Zoulou.

-         Ces chanteurs français s’engageant à soutenir l’association de Coluche « les restos du cœur ».

 

Le moment de conclure ce propos est maintenant arrivé.

Ce bref exposé avait pour objectif de démontrer un peu rapidement, il est vrai combien musique et société étaient en interaction totale, et combien cette fin de XX° siècle aura marqué une évolution prodigieuse en terme de consommation musicale.

Le mot est cependant peut-être mal choisi ! ? La musique ne serait-elle qu’un vulgaire produit de consommation dont le seul intérêt serait qu’il peut être source de profit ! ?

Je ferais deux dernières citations :

Pablo Casals, violoncelliste espagnol : " La musique chasse la haine de ceux qui sont sans amour,   elle donne la paix à ceux qui sont sans repos, elle console ceux qui pleurent ".

Ceux qui se sont égarés trouvent de nouveaux chemins, et ceux qui refusent tout retrouvent confiance et espoir. »

François-René de Chateaubriand : «  La musique tient le milieu entre la nature matérielle et la nature intellectuelle. Elle peut dépouiller l’amour de son enveloppe terrestre ou donner un corps à l’ange. Selon les dispositions de celui qui écoute, ses accords sont des pensées ou des caresses. »  

 

              Bruno-Jean Villard

Professeur agrégé d’éducation musicale

            Formateur au CEPEC